Le déploiement de la fibre se cherche des stimulants en attendant la relance

Par Yann Daoulas modifié le 10/09/2020 à 10h08

En attendant un véritable plan de relance pour la fibre, l'attention de l'écosystème THD se focalise sur les freins opérationnels à lever pour alimenter la reprise.

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Ils devaient se tenir à Deauville en mars, comme tous les ans ; touchés, mais pas coulés, les Etats généraux des RIP organisés par Mon Territoire Numérique se déroulent finalement sous format visio pendant 2 jours. Le rendez-vous des réseaux d'initiative publique a permis de jauger l'impact de la crise sanitaire sur les projets Très Haut Débit portés par les collectivités. Face à cette crise qui grippe le déploiement en même temps qu'elle accroît l'impatience numérique, les acteurs du THD souhaitent appuyer sur tous les leviers disponibles pour accélérer le déploiement.

Le pire évité

C'était la hantise de la filière : l'arrêt complet des chantiers de déploiement de la fibre optique. Un "scénario catastrophe" susceptible d'engendrer 12 mois d'inertie, prévenait fin mars InfraNum. Aujourd'hui la Fédération des industriels des infrastructures numériques respire - un peu. "Nous avons travaillé sur les ordonnances, sur les différents décrets avec plus ou moins de succès" afin d' "éviter l’arrêt complet de l’outil industriel, ce qui est chose faite", indique ainsi son président Etienne Dugas.

Le "fond de la piscine" a été atteint le 3 avril, poursuit-il. Date à laquelle la publication du guide de préconisations sanitaires de l'OPPBTP a permis de poser les bases d'un retour progressif sur les chantiers dans des conditions de sécurité. Car c'est notamment sur le génie civil que les chantiers FttH ont coincé, témoignent les opérateurs. Mais la disponibilité des ressources s'est également révélée problématique : humaines - avec le départ de travailleurs étrangers -, matérielles, ou énergétiques, s'agissant des raccordements électriques difficiles à obtenir auprès d'Enedis.

Au global, les différents opérateurs d'infrastructure fibre s'accordent sur un chiffre : une activité tombée, en moyenne, aux alentours de 30% de la production nominale durant le confinement. De quoi maintenir l'outil industriel en fonctionnement, bien que la situation ait fortement varié selon les territoires, souligne-t-on par exemple chez Covage.  Certains prestataires "ont tout arrêté pendant le confinement", observe son président Pascal Rialland, d'autres "se sont battus pour maintenir l'activité" et atteindre, dans le Calvados par exemple, jusqu'à 50% des objectifs de production en avril.

Quels retards...

L'heure est aujourd'hui à la remontée en charge. 50% d'activité la semaine dernière, 70% cette semaine, dans le sillage du BTP ? Ce sont les chiffres avancés par le ministre de la Ville et du logement Julien Denormandie, en charges des dossiers THD depuis 2017. Mais ils sont à prendre avec précaution, prévient Etienne Dugas, car quantifiant avant tout les effectifs revenus sur le terrain. "En termes de productivité, nous sommes encore loin des taux que nous pouvions avoir précédemment", insiste-t-il. Constat corroboré par Lionel Recorbet pour SFR FttH : "Nous allons avoir beaucoup, beaucoup de difficultés à retrouver le 100%", prévient-il.

Cyril Luneau ne dit pas autre chose. Le directeur des relations avec les collectivités chez Orange avertit lui aussi d'ores et déjà que le retour aux niveaux de déploiement de la fibre d'avant crise "n'est pas pour tout de suite". L'épisode Covid aura "une incidence sérieuse et profonde sur les calendriers, les jalons de cette fin d'année, et sans doute sur 2022", c'est-à-dire les échéances d'engagement de l'opérateur en zone AMII. Conséquence : un "chevauchement" des plannings avec la zone RIP, vers laquelle l'opérateur avait anticipé une bascule de ses capacités de production AMII  "dès 2021". Dans ces conditions, Orange pourra faire du volume, mais pas "du spécifique ou du sur mesure" sur cette période, prévient Cyril Luneau.

Non sans rappeler la "mobilisation sans faille" de l'opérateur à ceux qui "ont pensé qu’Orange baisserait les armes et que le Covid serait un alibi pour ralentir les déploiements". Un écho aux échanges d'amabilité de la semaine dernière entre la Fédération française des Telecoms et l'Arcep. Son président Sébastien Soriano a de son côté tenu à rappeler qu'il ne se trouvait pas "sur le même bateau" que les opérateurs au titre de sa mission consistant à contrôler leurs "obligations légales", quand bien même celles-ci seraient assouplies pour prendre en compte l'impact du Covid-19.

... et quels surcoûts ?

Difficile, donc, de chiffrer à ce stade les délais supplémentaires, préviennent les opérateurs. A titre d'exemple, Pascal Rialland se risque néanmoins à prédire un report de déploiement de "4 à 6 mois en 2021" pour les 75 000 lignes de fibre optique que Covage devait déployer en 2020 dans le Calvados. Des dérapages de calendriers seront inévitables, et, à la clé pour les RIP, des retards de commercialisation qui risquent de peser à terme sur l'économie des projets portés par les collectivités. Tout comme les surcoûts plus immédiats liés aux précautions sanitaires. La question de leur prise en charge ne pourra être tranchée par la loi, prévient Julien Denormandie. Qui explique réfléchir à "un guide de prise de décisions dans la répartition des surcoûts entre maître d’ouvrage et constructeur".

Quant à leur montant, parle-t-on de 10, 15 ou 20% de plus, comme le hasarde le ministre ? Impossible à ce stade de les chiffrer. A cet égard, l'étude d'impact commandée par InfraNum pour la fin du mois est très attendue. Un travail sur lequel la fédération d'industriels compte s'appuyer pour s'inscrire dans le plan de relance promis par le gouvernement pour septembre prochain. Et qui nourrira aussi, à n'en pas douter, les calculs des collectivités désireuses de voir l'Etat s'engager sur un nouveau "plan de résilience numérique". Avec au programme la "réouverture du Plan France THD avec l’intégralité des crédits attendus, soit 680 millions d’€ supplémentaires a minima", et réévalué pour prendre en compte le "renchérissement des coûts de déploiement".

Gros sous et petits freins

De ces éventuelles grandes manœuvres, il n'a point été question hier. En attendant d'y voir plus clair sur l'impact de la crise sanitaire, les participants aux Etats généraux des RIP ont préféré insister sur les autres leviers d'accélération du déploiement pour répondre à l'impatience numérique. Du côté des industriels, on souligne les besoins de cash immédiats des entreprises de la filière pour qu'elles puissent poursuivre leur activité. Les opérateurs d'infrastructure ont multiplié les initiatives pour soulager la trésorerie de leurs sous-traitants au plus fort de la crise, via des réductions des délais de paiement, avances et autres bonifications. L'idée est à présent de "mettre plus d'agilité" dans les versements des subventions France THD aux collectivités, annonce Julien Denormandie. On s'en doute, InfraNum applaudit la fluidification de ces paiements qui pourront ainsi ruisseler plus rapidement vers les délégataires, et jusqu'aux plus petits sous-traitants. La fédération attend désormais avec "impatience" la mise en œuvre de l'initiative.

Mais "la réponse ne peut pas être qu'argent public", tient à tempérer Arthur Dreyfuss, président de la Fédération française des telecoms pour un mois encore. Plus que de nouveaux coups de pouce financiers, le secrétaire général d'Altice France attend que soient levés "tous ces petits freins du quotidien" au déploiement de la fibre. Accès aux colonnes montantes des immeubles suspendus aux décisions des copropriétés ou droit de regard des Bâtiments de France sur les interventions en façade retardent l'arrivée de la fibre dans des centaines de milliers de logements, ont fait valoir à l'unisson plusieurs participants. Des doléances émises depuis des années, au même titre que les problématiques d'adressage ou d'utilisation des appuis aériens, et que de nombreux acteurs du THD aimeraient voir enfin entendues. Dans cette situation exceptionnelle, "il faut battre le fer", résume Patrick Chaize.

Un bien essentiel ?

Par exemple en faisant des infrastructures numériques un bien essentiel, fait valoir le sénateur de l'Ain et président de l'Avicca. Une approche qui permettrait au déploiement d'outrepasser certains de ces blocages, croit aussi Arthur Dreyfuss, déplorant que "nous ne bénéficions pas du droit dont bénéficient le gaz ou l'électricité". Mais l'idée ne convainc pas Julien Denormandie, pour qui consacrer un tel statut risque d'être mal compris par les Français privés d'une bonne connexion. Le ministre préfère passer par d'autres textes pour certaines avancées opérationnelles auxquelles il se dit "ouvert", par exemple sur les poteaux Enedis. S'agissant, en revanche de la très pressante question des copropriétés, dont il s'affaire surtout à permettre la tenue des assemblées générales actuellement, le ministre botte en touche, en renvoyant aux "équilibres" de la loi Elan. Opérateurs et collectivités n'en ont donc pas fini avec ce travail de fourmi.

 

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