Fibre en zone rurale : l'Etat veut raboter les aides et s'attire les foudres des collectivités

Par Yann Daoulas modifié le 09/09/2020 à 15h34

L'Etat a dévoilé son projet de cahier des charges pour financer les futurs projets de réseaux fibre publics en zone rurale. Un dispositif beaucoup plus restrictif pas du tout au goût des collectivités.

Chantier-de-fibre-optique

Un feuilleton qui n'en finit pas, et qui tourne même au vinaigre. Celui des subventions du plan France THD pour aider à financer les réseaux de fibre optique en zone rurale. Les collectivités jugeaient déjà trop chiche l'effort global promis par le gouvernement. Elles sont désormais vent debout contre le projet de nouveau dispositif de subventions dévoilé cette semaine. Un cahier des charges qu'elles estiment taillé pour en donner encore moins aux territoires.

Previously on Guichet France THD...

Résumé des épisodes précédents : pour financer les derniers projets de réseaux de fibre optique en zone rurale, les collectivités estime que l'Etat devra mettre la main à la poche, à hauteur de 630 millions d'euros. Ce dernier, après deux ans de gel des subventions, a finalement annoncé cet automne un nouvel effort de 140 millions, et peut-être plus à terme. Pas d'argent frais cependant : il s'agit, et s'agira, d'économies réalisées sur l'enveloppe de 3,3 milliards initialement dévolue aux réseaux d'initiative publique (RIP).

Pas assez, pas assez vite, pour être au rendez-vous du 100% fibre en 2025, ont protesté les collectivités. Lesquelles estiment qu'il faut dès à présent réserver 462 millions d'euros pour donner de la visibilité à plusieurs projets de RIP déjà dans les starting-blocks. En première ligne, ceux de la Bretagne et de l'Auvergne, qui nécessitent à eux seuls un appui de l'Etat estimé à 300 millions. Raison pour laquelle les sénateurs ont voté il y a quelques jours une rallonge de 322 millions d'euros pour le guichet France THD, via un amendement au projet de loi de Finances.

Le tous sous forme d'autorisations d'engagement et non de crédits de paiement. La différence a son importance, nous expliquait il y a peu Patrick Chaize. Pour le sénateur (LR) de l'Ain et président de l'Avicca (Association des villes et collectivités pour le numérique), l'opération n'aurait ainsi "aucune incidence" sur le budget 2020.

Observatoire des RIP Avicca automne 2019

Source : Observatoire des RIP Avicca, automne 2019

Ambiance "détestable" au Sénat

Las : même à plus long terme, le gouvernement ne souhaite pas s'engager sur des tels montants. "Nous n’avons pas besoin, dès 2020, des autorisations d’engagement, compte tenu des délais (…) et du montant d’autorisation d’engagement dont nous disposons. Nous sommes en réalité très large. Nous tenons le rythme", a ainsi assuré Agnès Pannier-Runacher. Pour la secrétaire d'Etat à l'Economie et aux Finances, le "point de blocage" est plutôt à rechercher du côté des difficultés de recrutement de la filière fibre.

S'ensuit une passe d'armes relatée par Public Sénat : "totalement faux", répond ainsi Patrick Chaize, rappelant le décalage entre l'obole du gouvernement et les seuls besoins du projet breton. Réponse cinglante d'Agnès Panier-Runnacher : "Nous tenons les engagements. Nous avons suffisamment d’argent pour le faire. Je trouve un peu détestable de laisser penser que ce n’est pas exact".

Les Sénateurs ont beau réclamer le soutien des députés à leur amendement, la position de la représentante du gouvernement laisse peu de doute quant au sort de cette initiative budgétaire lorsqu'elle repassera par l'Assemblée...

Vers un financement a minima pour les RIP fibre ?

C'est dans ce climat déjà passablement tendu que les collectivités découvrent l'évolution des conditions de financement des projets de réseaux d'initiative publique suggérée par le gouvernement. Ce projet de nouveau cahier des charges mis en consultation cette semaine ne va pas apaiser les esprits. Il propose en effet de "nouvelles modalités de calcul de la subvention de l’Etat (..) afin notamment de tenir compte des meilleures conditions économiques". Pour l'exécutif, les attributions des deux dernières années ont démontré un appétit certain des investisseurs pour les RIP, qui auraient ainsi moins besoin du concours de l'Etat.

Raison pour laquelle les critères de subvention se révèle plus restrictifs que le premier opus, qui présidait jusqu'ici à l'octroi des aides d'Etat aux RIP de fibre optique. Beaucoup plus restrictif, même, selon l'Avicca, laquelle relève de nombreuses régressions : 92% de locaux financés au lieu de 100%, sur une base Insee obsolète qui plus est, décote doublée sur la desserte FttH, plafonds de financement inchangés pour des zones pourtant plus coûteuses à couvrir... Mais aussi disparition de plusieurs postes de financement : collecte, raccordement de sites prioritaires, dont les entreprises, mise à niveau des réseaux antérieurs et raccordement final.

"De l'effet levier à l'effet massue"

Un "leurre", s'étrangle l'Avicca, qui ne voit là qu'un moyen "d’ajuster le dispositif d’aides au reliquat de crédits disponibles". Même analyse du côté de Mégalis, le réseau d'initiative publique qui dessert les 4 départements bretons. Pour son directeur général Patrick Malfait, "l'objectif est de faire rentrer le financement des 3 millions de lignes dans l'enveloppe de 140 millions d'euros". Ambition jugée "inacceptable", puisque arithmétiquement intenable pour le vaste projet breton, d'un coût total d'1,2 milliard d'euros.

Mégalis souhaitait recevoir 200 millions d'euros de subventions pour les phases 2 et 3 de déploiement (1,1 million de lignes). Il devrait, selon le nouvelles modalités proposées par l'Etat, se satisfaire de moins de 60 millions d'euros, calcule Patrick Malfait. "On est passé de l'effet levier à l'effet massue", résume-t-il, rappelant que pour la seule phase 1 (240 000 lignes), l'aide du guichet France THD s'était élevée à... 80 millions.

L'addition de la fibre enfle pour les collectivités

Pour Mégalis, pas question pour autant de revoir à la baisse son projet de déploiement. L'ambition reste le "100% FttH sans raccordement long" d'ici à fin 2026, confirme son directeur général. L'impact sera donc essentiellement financier. "Si l'Etat n'est pas au rendez-vous", prévient-il en effet, cela entraînera un "renchérissement de la charge pour toutes les strates des collectivités locales".

Mise en garde également formulée du côté de l'Avicca, pour qui le projet de l'exécutif équivaut à "une flagrante rupture d’équité des territoires entre eux pour l’accès à la fibre optique". En l'état, les 27 départements concernés par la nouvelle mouture seraient purement et simplement menacés de "relégation territoriale", prévient l'association.

Son verdict est donc sans appel : elle "rejette la quasi-totalité des nouvelles dispositions de ce 'détestable' projet de nouveau cahier des charges". Mégalis, pour sa part, "n'imagine pas" que le dispositif finalement retenu n'évolue pas, à l'occasion de la consultation publique menée par Bercy jusqu'au 23 décembre. To be continued...

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